Lancé l’an dernier, le concours de rap Nouvelle Ecole produit par Netflix, reprise de l’édition américaine de Rythm + Flow, avait l’ambition de dénicher de nouvelles pépites parmi les nombreux talents qu’abrite le rap français. Plusieurs mois après la fin de l’émission, quelles conclusions en tirer ? Quels artistes ont su tirer leur épingle du jeu ? Si plusieurs profils ont effectivement été mis en lumière, tous n’ont pas utilisé leur visibilité de la même façon, et différents parcours ont été tracés. Voyons voir avec ce bilan.
Un article proposé par Anaïs Croisille.
La réussite de B.B. Jacques
Déjà identifié dans le milieu rap avant le programme, l’artiste s’est rapidement distingué par une identité visuelle et créative très développée et propre à lui. S’il n’a pas gagné le concours, c’est l’une des têtes qui n’est pas passée inaperçue parmi tous les candidats. Avec la diffusion de l’émission, B.B. Jacques a bénéficié d’une jolie mise en lumière qui a porté ses fruits, et dont il a su tirer les bénéfices. Voici les leviers principaux de sa stratégie :
Un univers atypique et surtout clivant. Sa façon de poser et de rapper est vecteur de débats : il fascine autant qu’il divise, ce qui alimente nécessairement la discussion autour de lui. C’est ainsi que sa prestation pendant l’épreuve de clash a été objet d’un buzz sur les réseaux sociaux, qui s’est étiré et a joué sur sa montée en notoriété. Il arbore également un style physique facilement identifiable et atypique, ce qui crée un personnage particulier.
Des passages média choisis et réussis. La visibilité d’un artiste se construit souvent avec une stratégie médiatique cohérente, et c’est ce que B.B. Jacques est parvenu à faire en choisissant des médias clé : un passage dans l’émission Le Code (seul invité post émission, alors qu’il n’était pas même finaliste), deux freestyles Booska-P, un Colors (un passage significatif dans la carrière d’un artiste). Malgré le fait qu’il ne figurait pas parmi les derniers candidats, il a été parmi les plus mis en avant médiatiquement par la suite – comme il s’en amuse lui-même : « Je fais plus de promo, c’est les médias qui en font sur mon dos » (Elixir, 7 septembre 2022).
Productivité et bon entourage. La discographie de l’artiste était déjà bien affirmée avec plusieurs projets parus. La première partie du projet “Poésie d’une pulsion” étant sortie en février 2022, la deuxième partie sortie en mai 2022 s’articulait bien temporellement avec la diffusion de l’émission. Un autre album, “NEW BLUES, OLD WINE” a été annoncé rapidement dans la foulée, pour une sortie en décembre 2022.
B.B. Jacques a également su s’entourer de bons professionnels du milieu, notamment des producteurs influents qui l’ont accompagné sur ses nouveaux projets (Le chroniqueur sale, Diabi, Sofiane Pamart, twinsmatic…)
Un marketing efficace. Chaque projet s’est accompagné d’un levier marketing original : la deuxième partie de Poésie d’une pulsion a été couplée à la mise en vente d’une version physique encadrée limitée, tandis que NEW BLUES, OLD WINE a été teasé avec un court-métrage, positivement accueilli par la critique et à l’image de l’univers de l’artiste.
Un retour sur scène très bien géré. Après l’émission, B.B. Jacques a pu faire une tournée des festivals, dont un passage au gros festival des Ardentes à Liège. Il a rapidement enchaîné sur l’organisation d’une tournée qui débute en 2023, et l’annonce d’une date symbolique : un Olympia le 3 novembre 2023.
L’exploitation de Nouvelle école à sa manière. Sans s’en revendiquer, il a multiplié les références au programme dans plusieurs de ses titres avant même la sortie de l’émission, ce qui a suscité la curiosité et l’engouement après coup. Exemples : “le faire avec un peu de talent et un pull Netflix” BB Jacques, Lâcher de colombes; “je vais faire le buzz en chantant “fuck le buzz” sur une grosse scène”, BB Jacques, Mégot sur trottoir; “Du recul, peut-être que j’en manque, fuck les 100.000” BB Jacques, Caviar (tous ces titres sont parus en février 2022, bien avant la diffusion de l’émission).
Sans que cela soit forcément entièrement calculé, B.B. Jacques a multiplié les stratégies efficaces et cela a contribué à sa forte montée en visibilité. Bien entouré, il est parvenu à transformer sa défaite dans l’émission en véritable victoire. Il a réussi à imposer son style et créer un lien fort avec le public, jusqu’à devenir un artiste incontournable du moment.
Le retournement de situation, par Ben PLG
Candidat malheureux de l’émission, injustement éliminé aux yeux de beaucoup de téléspectateurs, le rappeur lillois a su établir une véritable stratégie de communication pour rebondir rapidement après son élimination (cf clip Mauvaise Nouvelle en référence à son élimination, où il se met en scène dans les mêmes conditions que dans l’émission). Un clin d’œil apprécié qui a permis à l’artiste de susciter l’intérêt de nouveaux auditeurs.
Également déjà connu des radars dans le milieu, l’artiste a continué son cheminement artistique et a sorti les volets 2 et 3 de sa trilogie Réalité Rap Musique, tout en se lançant dans une tournée à travers la France. Un tournant réussi !
La disparition de Leys
Finaliste, Leys a su attiser un capital sympathie autour de sa personnalité douce et bienveillante, non sans révéler un talent et une forte identité musicale. Active depuis de nombreuses années, elle avait déjà été repérée par SCH, qui avait évoqué son envie de la signer au sein de son label.
Contrairement à ses confrères, Leys n’a pas profité de l’exposition médiatique pour sortir un projet dans l’année – prise de temps qualitative nécessaire ou erreur de stratégie marketing ?
Fresh, l’opportunisme pour la gagne ?
Gagnant de la première édition, le rappeur de Liège s’est retrouvé en situation de forte exposition médiatique quasi immédiate – une situation jamais simple à gérer pour un artiste en évolution. A la suite de sa victoire, beaucoup de médias l’ont reçu en interview, des médias spécialisés comme généralistes : Booska P, Skyrock, GQ, Le Parisien, Konbini… Soit de gros canaux de communication.
Capitaliser sur des hits et de gros featurings : pour rebondir, la stratégie adoptée a d’abord été de miser sur des hits et des feats efficaces. Un premier album attendu est paru en octobre dernier, comptant 3 feats stratégiques avec les jurés de Nouvelle Ecole (SCH, Niska, Shay) et pas moins de 19 titres : ces éléments semblent indiquer le choix d’une stratégie commerciale visant à capitaliser sur le buzz immédiat du moment et en générer un maximum de streams.
Après sa victoire, plusieurs choses ont donc contribué à la montée en buzz : une médiatisation made in Netflix, un premier hit très efficace (Chop, certifié single de diamant en décembre, 6 mois après sa sortie), la sortie d’un feat avec Niska dans la foulée, et même des buzz créés involontairement – on pense notamment à son sosie très réaliste qui faisait des showcases à sa place cet été.
A voir ce que la suite réserve en termes de créativité et de longévité suite à une très rapide mise en visibilité.
Juss : l’erreur de miser sur l’autodérision.
Autre candidat malheureux de l’émission, Juss s’est distingué par des moments et des performances tournés en dérision par les téléspectateurs, entre autres la session de performance de groupe qui a tourné à la tentative de freestyle ratée. Ironiquement surnommée “Habibi”, le rappeur a toutefois réussi à transformer ce gros bad buzz en promotion en faisant preuve d’autodérision : c’en est suivi la sortie d’un morceau du même nom surfant sur la vague de buzz.
Si cela avait créé l’engouement à l’époque, difficile de maintenir une visibilité durable sans stratégie et piliers solides.
Le rappeur semble être à l’aube d’une nouvelle stratégie, basée sur une D.A. plus léchée. Un retour réussi à prévoir ?
Bonne ou mauvaise école ?
Le programme a bénéficié d’une grosse promotion sur les réseaux, en plus d’être porté par trois superstars du rap français. En termes de visibilité, c’est une opportunité assurément intéressante pour un artiste en évolution. En termes de légitimité pour lancer une carrière (parfois déjà bien entamée), le choix de ce programme a aussi été discuté dans le milieu, comme l’illustre ces punchlines : « Vous avez des bons p’tits flows, des bons p’tits lyrics, mais j’peux pas vous prendre au sérieux, vous v’nez d’un concours Netflix » (404Billy, J’fais le bilan calmement) ; “C’est l’karma qui m’épaule, c’est pas nouvelle école” (STO, Rappelle-toi).
Suite au succès de la première saison, beaucoup d’artistes ont été approchés pour participer à une deuxième édition. On peut par exemple citer NeS, qui jouit déjà d’une petite notoriété dans le paysage du rap français – qui, à l’instar de beaucoup d’autres, a refusé.
Au-delà des éléments évoqués plus haut, la diversité des épreuves (freestyle, clash…) fait que l’émission ne correspond pas à tous les profils artistiques, et peut en rebuter certains. La forte médiatisation du programme est en effet à double tranchant : potentiellement très bénéfique en cas de bonne performance, mais peut s’avérer pénalisante pour une carrière en développement si l’on ne convainc pas. On devrait tout de même retrouver des visages familiers dans cette deuxième saison : il semble avoir été révélé que le rappeur Coehlo faisait partie du casting.
L’identité, c’est la priorité
Il n’a pas fallu attendre Nouvelle Ecole pour constater que toute la visibilité du monde ne suffisait pas à obtenir ce qui fait l’essence même d’un artiste : talent, créativité et identité artistique personnelle. Si cela peut agir comme un bon tremplin, et permettre une jolie progression à certains artistes, cela ne constitue pas le gros du travail pour construire et maintenir une carrière durable. Comme l’a souligné B.B. Jacques durant l’émission –« 10 ans que j’écris, 7 ans je structure une DA, 5 ans je fais une équipe », c’est un cheminement personnel et artistique qui prend du temps, dont l’investissement et le travail finiront par être valorisés.