Pour ce Quality Time, nous avons donné rendez-vous à Lovarran aux serres d’Auteuil pour discuter de Cascade, sorti le 11 octobre. Au milieu de l’atmosphère tropicale de la serre qui contraste avec l’univers en blanc et noir de l’album, le rappeur de 25 ans se livre en totale transparence sur ce projet qu’il considère comme le plus intime.
La voix un peu éraillée au lendemain de performance en première partie de Baby Neelou, Lovarran s’est confié sur son parcours, ses influences et la genèse d’un album introspectif qui marque un tournant dans sa carrière.
Photos exclusives par Romain Teyssandier, entretien par Auriane Duroch.
Comment s’est fait ta rencontre avec le rap ?
En 2016, je suis parti pour mes études à Clermont Ferrand. Pour la première fois, je rencontrais des gens dans mon délire musical et vestimentaire. Je me disais que je n’étais peut-être pas un alien finalement. On a commencé par des freestyles, puis on louait des studios à droite à gauche pour faire nos premiers morceaux. Mon frère faisait quasiment toutes mes prods, mais nous n’avons presque rien sorti.
A partir de début 2021, je commence à sortir des morceaux, en anglais et en français. A ce moment-là, ce que je fais, c’est de la création libre, qui répond à un besoin de créer des morceaux qui me plaisent. C’est très ambitieux mais je ne trouve pas ce qui me plait musicalement dans le rap français, donc j’essaie de le créer. Je trouve qu’en anglais, la force des morceaux c’est la mélodie. Tu peux te prendre un morceau, même si tu comprends pas tout. C’est la bonne intonation sur deux mots qui peut te faire vibrer. En français, la force des sons, ce sont les mots
Entre 2021 et 2024, je sors plus de 100 morceaux répartis sur une dizaine de projets avec cette dynamique.
On peut faire un truc qui sonne bien sans forcément raconter des dingueries sur les meufs ou sur la dope.
Cascade est sorti il y a quelques jours, peux-tu nous raconter l’histoire derrière ce nouveau projet ?
J’ai commencé à écrire en avril dans un cahier où je note plein d’idées, de tonalités, et de couleurs. A la base, le projet devait être plus chaud et sortir en été, mais lorsque j’ai commencé à le bosser j’ai compris que j’avais le temps de faire quelque chose d’abouti et j’avais moins envie de faire un album estival.
Les sons suivent le déroulement d’une journée, sans en faire un album storytelling.
Le projet s’ouvre sur l’énergie du réveil avec aller simple, et suit ce schéma jusqu’à la nuit noire avec M.Yamamoto. J’ai écrit chaque son au moment de la journée auquel il correspondait. L’objectif ce n’est pas de raconter une journée, mais plutôt de donner une couleur en filigrane au projet, une impression de voyage.
J’ai eu envie d’amener un projet beaucoup plus personnel, plus atmosphérique, avec du piano. Ça me ressemble plus. Je voulais faire quelque chose de plus contemplatif, plus « beau ». Au début j’avais un sous-titre “Mouvement et transparence”. Mouvement pour le flow, et transparence pour l’authenticité. Finalement, je l’ai mis de côté pour que chacun puisse se faire son idée. De la cascade naturelle à l’acrobatie du cascadeur hollywoodien.
Sur Cascade on retrouve neuf compositeurs. Comment as-tu choisi les prods ?
Au début du projet, je n’avais pas de compositeurs prédéfinis. Je savais que j’en voulais plusieurs, mais pas autant que sur Sauce Park en 2016, où il y avait 20 compositeurs pour 16 morceaux. Ici l’idée c’était d’avoir des identités différentes, mais avec une cohérence et une complémentarité. Les choix se sont faits naturellement et par affinité.
Depuis très jeune, tu évolues dans la musique, mais j’imagine que tu as aussi des influences extérieures qui ont façonné ton style. Qu’aimes-tu écouter ?
J’ai toujours écouté du hip-hop des années 90, français ou américain. Mais c’est vraiment le rap américain qui m’a le plus inspiré. Lorsque j’ai commencé à raper, au milieu des années 2010, j’écoutais à mort A$AP Rocky, Earl Sweatshirt, Valee, ou Kodak Black. Puis après j’ai pris tous les artistes trap qui commençaient à être écouté jusqu’en France, Future, Young Thug, 21 Savage, etc …
Hors rap, je pioche dans le rock, le reggae, le blues, le jazz, l’électro … on a la chance de pouvoir écouter de tout maintenant gratuitement au streaming, j’en profite autant que possible. J’écoute aussi beaucoup de chansons françaises depuis petit, notamment Gainsbourg, Dutronc, ou Brassens. Ça m’a toujours inspiré, et je pense que ça se ressent plus dans Cascade.
Depuis 1 an et demi tu travaille à temps plein dans la musique. Ça a changé ta façon de concevoir cet album ?
Carrément. Depuis février 2023, je suis à 100% sur la musique. Avant, je taffais 10 heures par jour. Quand je rentrais, j’allais rapper au studio, mais j’étais ko. Cascade c’est le premier projet que je fais dans la dynamique musique-création avec plus de temps et d’énergie à disposition.
Pour la première fois, j’ai tout écrit en 2 semaines avant d’aller au studio, avant je rappais directement en impro en cabine. C’est un changement majeur.
Maintenant, c’est en partie mon « métier », mais j’ai quand même réfléchi à comment ramener quelque chose de plus personnel. Pendant trois ans, j’ai fait plein d’expérimentations différentes : le choix des samples, la musicalité, l’autotune, le chant. Ce nouvel album, c’est le bilan musical de tout ça. C’est la première fois où je chapote tout : je choisis les prods, je fais les arrangements et le mixage avec l’ingé, la création des visuels…
Lorsque tu as annoncé la sortie de Cascade sur Instagram , tu as écris “Je sais pas si c’est un premier EP, un premier album, ou juste projet de plus … ce dont je suis sûr c’est que c’est la première fois que je donne autant de moi même pour en concevoir un”. Tu peux nous en dire plus sur cette nouvelle direction ?
Cascade, ça marque le début d’un truc. J’ai toujours baigné dans la musique, et j’ai toujours su que je voulais en faire, mais je ne savais pas vraiment quoi, ni comment. Quand j’étais petit, je disais à mes parents que je me fichais du piano, ou de la batterie. Maintenant, je regrette et j’ai envie de m’investir encore plus dans la création de mes albums. Sur mes prochains projets, j’aimerais qu’il y ait des prods à moi, j’ai vraiment envie de ramener de la composition personnelle. En ce moment je sors des démos du studio que j’ai composé, écrit, enregistré et pré mixé moi même. C’est particulièrement satisfaisant.
Avant, je ressentais parfois de la frustration, parce que j’ai des idées musicales variées et l’envie de faire des choses abouties, mais je ne pouvais pas par manque de moyen et de temps. Je fais en sorte de combattre cette frustration. Cascade, c’est un aboutissement, je suis fier de dire que c’est un album de Lovarran alors que je vois davantage mes projets précédents comme des expériences artistiques.
La nouvelle direction c’est finalement la suite logique, continuer de trouver des moyens de me faire plaisir et d’aller au bout de mes idées.
Cascade, c’est aussi le premier projet où tu es autant entouré. Dans FLT, le deuxième track de l’album, tu dis : “L’industrie et moi, David et Goliath, Rey Mysterio versus Batista” . Tu peux nous expliquer cette métaphore ?
Batista c’est l’industrie, c’est l’image de grandeur, la force brute, insensible. Rey Mysterio c’est moi, le mec fantasque avec des techniques improbables qui fait ce qu’il veut. Mais ils se battent quand même sur le même ring. Je ne peux pas cracher dans la soupe, mon album est distribué par Virgin. A un moment il faut être lucide, il faut accepter d’être dans le jeu si tu veux jouer.
Cascade marque aussi le début de ma collaboration avec mes managers et mon co-producteur. On en parle souvent avec mes frérots, si on veut vivre pleinement de notre musique, il y a des étapes à respecter. Quand j’ai commencé, je ne voulais rien savoir, je faisais ça pour moi. A un moment tu comprends qu’il faut t’entourer de personnes de confiance si tu veux aller plus loin. J’ai juste fait en sorte qu’il y ait les bons intermédiaires entre les labels et moi, ce qui fait que je reste totalement libre sur la création. Je suis entouré par des personnes en qui j’ai totalement confiance.
A part si tu fais un single dans ta chambre qui perce sur Tiktok, faire de la musique seul ça ne marche pas.
Tu le dis dans tes sons, mais aussi sur Instagram, l’honnêteté c’est quelque chose d’important voir d’indispensable pour toi. Est ce que c’est d’abord une volonté d’authenticité envers toi-même ?
Lovarran : Oui grave. En premier lieu, c’est de l’honnêteté pour moi. J’ai commencé à faire de la musique pour faire quelque chose qui me plaît avec toujours l’envie de ne pas me travestir. Si je raconte des conneries dans mes sons, je ne peux pas l’écouter après. J’aime beaucoup la scène et je ne vais pas aller raconter des dingueries que je n’ai pas vécues et après aller les défendre devant des gens. L’honnêteté c’est presque un besoin dans mon écriture.
Je côtoie beaucoup de rappeurs, et je parle de ça avec eux. J’aimerais me laisser aller à faire des trucs moins inscrits dans ma personnalité, des trucs plus légers, et en même temps je peux être frustré par la musique des frérots, je leur demande comment ils peuvent raconter tout ça alors que c’est souvent faux. C’est un parti pris. Parfois ils me disent “ouais mais t’écoutes du rap US”, mais dans le rap US, les clubs de strip, la drogue etc. c’est leur vraie vie, c’est pas notre vie. Un cainri qui le raconte, ça peut me toucher parce qu’on sent la sensibilité dans son vécu. Quand je parle avec eux en studio, ils sont les premiers à dire qu’ils aimeraient ne pas avoir à raconter ça.
En France on s’inspire de leur groove c’est normal ils sont trop forts, mais on n’a pas leur vie, pas leur vécu. Même le ghetto français, c’est pas Chicago, on ne peut pas comparer. Ce qui me déprime un peu dans le rap français, c’est qu’on a tellement cette image de rap américain, qu’on finit par bander dessus. Aujourd’hui en France, les plus grands vendeurs ce sont des gens qui vendent la cité alors que pour la plupart ils ont tout fait pour la quitter.
On peut faire un truc qui sonne bien sans forcément raconter des dingueries sur les meufs ou sur la dope. Mon projet c’est de ramener des thèmes plus terre à terre. Nous sommes tout le temps abreuvés d’images violentes, personnellement je surdose, et je pense pas être le seul.
Ce qui me déprime un peu dans le rap français, c’est qu’on a tellement cette image de rap américain, qu’on finit par bander dessus.
Dans Cascade, tu abordes des thèmes sombres, parfois difficiles. Outre l’authenticité est-ce que c’est aussi thérapeutique pour toi ?
De ouf, faire du son c’est très thérapeutique, même une forme d’exutoire pour moi. Cascade c’est mon premier projet aussi introspectif. Quand je le joue sur scène, je vois parfois des gens faire des grands yeux et être touchés par les sujets que j’aborde.
Je parle de mort, d’écologie, de politique … pas que, mais forcément ça pose un ton sérieux. J’estime qu’on peut parler de tout, tant que tu as un angle d’approche cohérent et personnel. J’ai toujours eu cette réflexion : comment parler de certains thèmes sans les rendre clichés. Comment parler d’addictions sans forcément rendre ça sexy, comment parler d’argent sans en parler comme un banquier…C’est quelque chose auquel je réfléchis depuis longtemps.
En septembre dernier tu as sorti le clip de M. Yamamoto qui est l’outro du projet. C’est quoi l’histoire derrière ce clip ?
M. Yamamoto, on savait que c’était un des morceaux les plus forts.
Sur les plateformes de stream, c’est souvent l’outro qui est le moins écouté. On l’a envoyé en single avant la sortie de l’album pour pas que les gens passent à côté. C’était logique pour nous de le clipper en noir et blanc pour coller à l’histoire du son. De base on voulait réaliser le clip à Naples. L’idée de base c’était de faire un format plus documentaire, filmer des gamins dans les rues de Naples en train de faire du foot, lever des scoots, fumer des clopes à 12 ans. J’avais axé la réflexion autour de la première phrase du son : “A ‘l’époque on prenait pas de photo quand on faisait des dingueries”.
Finalement Naples, c’était compliqué de l’organiser en dernière minute, et on a décidé d’aller à Marseille. En arrivant, je capte que mon réal n’est pas à l’aise à l’idée de filmer les gens. Après beaucoup d’échanges, on a décidé de faire quelque chose de plus contemplatif, un peu carte postale avec un format cinéma, ce qui se fait très peu dans les clips maintenant.
Les retours sont supers donc je suis content. Je pense qu’il va bien vieillir avec des images fortes et on a beaucoup de beaux souvenirs. Ce qui est cool, c’est qu’on a fait ça à Marseille, mais on a pas fait un clip de bandeurs de Marseille où on va filmer le vieux port, la Castellane etc. Si on te le dit pas, tu ne sais pas forcément que ca se passe là-bas.
Sur Cascade, on retrouve un seul feat avec Valee sur le morceau Souvenirs. Comment s’est faite cette connexion ?
J’ai découvert Valee en 2016 grâce à une story de Myth Syzer. Il avait posté le freestyle Two 16’s de Z-Money en feat avec Valee. J’ai pris une claque de ouf en écoutant. Depuis je l’ai toujours suivi, et je le repartagé régulièrement en story. J’aime vraiment son univers, ça me touche beaucoup.
Au moment de faire Cascade,je me dis que ça serait cool de faire un feat, mais il y a peu d’artistes avec qui je trouve cela pertinent. J’aime pas les patchwork musicaux qui donnent l’impression que deux personnes racontent leur vie chacune de leur côté, sans réelle connexion. J’informe mon équipe, que je pense à Valee et que c’est peut être jouable. Je lui envoie un message, il capte que je le suis depuis longtemps, il est super accessible, il accepte directement. En moins d’une semaine, il m’envoie sa partie.
Le public français n’est pas très ouvert sur lui. Et même aux States, il n’est pas forcément connu du grand public. Ce feat avec Valee c’est autant un kiff, qu’un hommage.
Si on veut avoir le droit de se plaindre, il faut exercer ses droits, et même quand c’est de la merde il faut aller voter.
En juin, tu as sorti morning routine dans lequel tu rappes “Tous les jours fuck les Macron, les Le Pen, les Trump, les Biden, les Poutine”. Est ce que tu penses que c’est important de parler d’engagement politique dans le rap ?
On a sorti morning routine en avance, c’était pas du tout prévu, mais c’était une nécessité au vu du contexte politique des élections législatives. J’ai diffusé un extrait du son dans un post insta où j’incite les gens à aller voter. Morning routine, ça répondait à un besoin de truc énergique de dire on va pas se laisser emmerder. Si on veut avoir le droit de se plaindre, il faut exercer ses droits, et même quand c’est de la merde il faut aller voter. C’est important de se concentrer sur les choses sur lesquelles on peut avoir de l’impact. J’ai reçu beaucoup de messages positifs après ce post, et j’ai capté qu’à travers les mots choisis, les gens se reconnaissaient donc on a donné le son en avance, mais sans objectif de récupération politique. A la base le rap a une vraie valeur contestataire, sociale et politique. Mais ça n’existe quasiment plus, ou du moins pas de manière explicite.
Dans tes sons tu exprimes souvent ta tristesse et ta mélancolie qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour être heureux dans le futur ?
Faire de la musique moins triste. Dans morning routine je dis “ j’ai envie de faire des chansons moins tristes, je le ferai quand ca ira mieux”.
Je ne parle pas que de moi, mais en général. J’ai du mal à me détacher de ce qui se passe autour de moi. Je ne peux pas parler de trucs légers quand j’ai en tête des choses sombres. On parlait toute à l’heure d’exutoire, et ce que je digère du monde extérieur ressort dans mes textes.
Sur scène, j’ai une grosse énergie qui ne colle pas forcément à ma musique. J’aimerai taffer de la musique que je peux exploiter en live sans gommer ma sensibilité, mais ramener de la chaleur dedans que ca soit par les prods ou par mon grain de voix.
Je suis arrivé à un point où je fais du rap que les gens écoutent tout seul, alors que moi à la base le rap que j’aime c’est du rap que j’écoute avec mes potes, qui me donne envie de bouger. J’ai envie que ma musique puisse aussi retranscrire une énergie plus positive .